D’un seul être qui vous manque

Il y a quelques semaines j’ai reçu un mail de la part de Babelio me proposant de lire et de chroniquer « Toute une vie et un soir », le tout premier roman de l’auteure irlandaise Anne Griffin paru aux éditions Delcourt.
Je m’intéresse à littérature irlandaise depuis un moment maintenant et, bien évidemment, je ne pouvais pas refuser. Je n’avais absolument pas entendu parler de ce roman et j’ai donc pu le découvrir sans aucun à priori ni aucune influence extérieure.

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Le résumé: Dans une bourgade du comté de Meath, Maurice Hannigan, un vieux fermier, s’installe au bar du Rainsford House Hotel. Il est seul, comme toujours – sauf que, ce soir, rien n’est pareil : Maurice, à sa manière, est enfin prêt à raconter son histoire. Il est là pour se souvenir – de tout ce qu’il a été et de tout ce qu’il ne sera plus. Au cours de la soirée, il va porter cinq toasts aux cinq personnes qui ont le plus compté pour lui. Il lève son verre à son grand frère Tony, à l’innocente Noreen, sa belle-sœur un peu timbrée, à la petite Molly, son premier enfant trop tôt disparu, au talent de son fils journaliste qui mène sa vie aux États-Unis, et enfin à la modestie de Sadie, sa femme tant aimée, partie deux ans plus tôt. Au fil de ces hommages, c’est toute une vie qui se révèle dans sa vérité franche et poignante…

Un homme, le bar d’un hôtel dans un village d’Irlande, cinq toasts en l’honneur de ceux qui ont compté… le postulat de départ est simple.
Dés la toute première ligne Maurice Hannigan semble s’adresser à nous, lecteur, mais c’est en fait à son fils Kevin qu’il livre ses confidences sur un ton à la fois personnel et en apparence détaché. S’il est là ce soir, assis au comptoir du bar de l’unique hôtel de Rainsford, c’est pour rendre hommage à cinq personnes qui ont marqué son existence chacune à leur façon et pour différentes raisons. Il a apparemment pensé cet évènement depuis longtemps déjà et c’est de manière méthodique qu’il lève le coude en l’honneur de son frère Tony trop tôt disparu, de sa précieuse fille Molly, de sa si spéciale belle-sœur Noreen, de Kevin son fils aimé mais incompris, et de son irremplaçable femme Sadie, le grand amour de sa vie.

Maurice est un homme au caractère trempé qui ne mâche pas ses mots, dont l’enfance a été rude et mouvementée, et qui s’est donné les moyens de se construire une réussite professionnelle solide et enviée de beaucoup. Bourru et buté au premier abord, c’est sans fausse pudeur et sans fard qu’il s’épanche sur sa vie. Chacun des cinq toasts qu’il porte lui donne l’occasion de remercier ceux qui ont fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui, de dire ce qu’il n’a jusque là jamais su ou pu exprimer et, alors qu’il déroule son passé sous nos yeux, ce sont de véritables tranches de vie authentiques et émouvantes qu’il nous offre sans jamais chercher à se donner le beau rôle.
Il dit son enfance et le profond attachement qui le liait à son grand frère Tony qui l’a toujours entouré, protégé et encouragé, le vide immense qu’il a laissé en disparaissant, la rencontre éphémère mais au combien intense avec sa petite Molly et l’impact qu’elle a eu sur sa vie de mari et de père, la rencontre improbable mais décisive avec Noreen, la sœur handicapée de sa femme, leur lien particulier, la relation empreinte d’amour et d’incompréhension avec son fils Kevin, si différent de lui, et le coup de foudre inextinguible pour l’amour de sa vie, Sadie, dont l’absence lui tenaille les tripes sans répit depuis deux ans. Il dit tout comme ça vient, comme il l’a ressenti, ses réussites et ses échecs, ses bonheurs du plus petit au plus grand et ses tragédies intimes, et c’est une émotion sincère et poignante qui nous étreint au fil des mots.
Même si l’on sait dés le départ ce qu’il fait là, le suspens est présent tout au long du récit parce que certaines inconnues demeurent: pourquoi maintenant? pourquoi de cette façon? quelle sera l’issue de cette soirée?…, et parce qu’un des épisodes marquants du parcours de Maurice ne trouve son dénouement qu’à la toute fin, attisant notre curiosité jusqu’au bout.

Anne Griffin livre avec « Toute une vie et un soir » un roman très personnel ( bien que purement fictif ) empreint d’une immense tendresse pour son pays et les gens qui en sont la moelle épinière.  A travers le destin de Maurice se dessine en filigrane celui de l’Irlande rurale de la seconde moitié du XXe siècle, la simplicité et la rudesse du quotidien, le caractère revêche de ses habitants, leur attachante pudeur et leur sincérité, et leur lien indéfectible à la famille et à la terre.
Le roman est découpé en 7 chapitres: un d’introduction, cinq dédiés aux cinq toasts, et un de conclusion; il se lit très facilement. L’écriture est simple et chaleureuse, profondément touchante, tout à l’image du personnage principal dont elle retranscrit la voix, et le récit nous bombarde d’émotions authentiques qui ne peuvent laisser indifférent parce que la vie de Maurice contient un peu de nos vies à tous. Si l’on doit retenir quelque chose de son témoignage, c’est qu’il faut en savourer chaque instant, aussi futile puisse-t-il paraître.

J’ai adoré cette lecture et je ne peux que vous la recommander!

 

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