D’une vie sacrifiée

J’ai lu « L’étrange disparition d’Esme Lennox » de Maggie O’Farrell.

L'étrange disparition

Le résumé: « Depuis soixante ans, le monde l’a oubliée et sa famille ne prononce plus son nom. Esme Lennox n’existe plus. Mais quand ferme l’asile où elle vivait recluse, la vieille femme réapparaît brusquement. Au bras de sa petite nièce, Esme découvre une Écosse moderne peuplée de fantômes… qui réveille, sous le silence des années, les secrets inavouables d’une vie volée.« 

J’avais choisi ce livre pour poursuivre ma découverte de la littérature irlandaise contemporaine, et parce que l’idée de parcourir les paysages d’Écosse en compagnie des personnages me plaisait.
C’était ma toute première incursion dans l’œuvre de Maggie O’Farrell.

Iris, la trentaine, vit à Édimbourg et partage son temps entre sa boutique de vêtements vintage, sa relation mouvementée avec Alex, son frère adoptif ( son père à lui a épousé sa mère à elle alors qu’ils avaient 5 et 6 ans ), son aventure avec le beau – mais marié – Luke et ses visites à sa grand-mère Kitty, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Ses journées sont donc bien remplies et, comme souvent, elle est en plein rush lorsqu’elle reçoit un coup de fil mystérieux de l’hôpital psychiatrique de Cauldstone. Son interlocuteur évoque une certaine Euphémia « Esme » Lennox, une dame âgée qui, bien qu’elle n’en n’ai jamais entendu parler, serait sa grande-tante et, après 60 ans passés entre les murs de l’asile, aurait besoin d’un nouvel hébergement.
D’abord agacée puis surprise à l’idée d’avoir une parente dont elle ignore tout, Iris finit par se rendre à Cauldstone pour faire la connaissance d’Esme. Elle ignore alors qu’en se rapprochant de cette vieille dame un peu étrange c’est toute sa vie qui va s’en trouver bouleversée.

Le véritable personnage principal de ce roman n’est pas Iris, comme on pourrait le croire au premier abord, mais bien Esme. A travers elle, à travers ses souvenirs, c’est toute l’histoire de sa famille qui nous est contée, une histoire faite de blessures, de failles, de non-dits et d’un incompréhensible besoin de normalité.
Esme et sa grande-sœur Kitty sont nées et ont grandi en Inde, où leurs parents se sont rencontrés après avoir quitté leur Écosse natale. Elles vivent dans une grande maison, entourées de domestiques ( parmi lesquels leur « ayah » – leur nounou ) et d’une nature flamboyante, et bien qu’étant loin de la bonne société écossaise, doivent se conformer aux attentes de leur mère en matière de savoir-vivre. Si Kitty se plie sans problème à ces nombreuses règles et prend goût aux activités visant à faire d’elles des jeunes filles bien sous tous rapports ( et donc bonnes à marier ), Esme, éprise de liberté et au caractère affirmé, tente par tous les moyens de se libérer de ce carcan, au grand dam de ses parents.
Lorsque la famille quitte l’Inde suite à la mort tragique du tout jeune petit frère des filles, Hugo ( que Esme a veillé seule durant des jours ), et de leur ayah, pour retourner s’installer en Écosse, le poids des convenances se fait plus sentir que jamais. Kitty s’épanouit dans sa vie de jeune fille de bonne famille, faisant siennes les espérances de sa mère ( à savoir trouver un mari ), tandis qu’Esme, laissant son tempérament s’exprimer, ne peut réfréner son envie d’accéder à une vie que tous lui refusent. Ses coups d’éclat font le désespoir de ses parents et, lorsqu’en revenant d’un bal elle devient franchement incontrôlable, ils n’hésitent pas à la faire enfermer et à l’oublier.
Tous la rayent de leur vie jusqu’à ce jour où Iris, sa petite-nièce, apparaît dans sa vie, lui permettant pour la première fois d’être considérée et entendue.

Maggie O’Farrell signe avec « L’étrange disparition d’Esme Lennox » un roman qui marque irrémédiablement. Construit comme un récit à plusieurs voix, celles d’Iris, d’Esme et de Kitty, ce livre débute dans une certaine confusion avant que les pièces du puzzle ne se mettent en place et que l’histoire de cette femme, sacrifiée sur l’autel de la bienséance et de la normalité, happe littéralement le lecteur et ne le lâche plus, même après la dernière page.
On s’attache autant à Iris qu’à Esme, qui par bien des aspects se ressemblent, et on est révoltés par la façon dont Esme – comme tant d’autres femmes à l’époque – a été traitée par sa propre famille, au nom de la tranquillité d’esprit et de la peur du quand dira t’on.
Ce roman parle donc de la famille, des liens complexes qui unissent les membres d’une même fratrie ( à l’image d’Esme et de Kitty, mais aussi d’Iris et d’Alex ), oscillant entre amour et haine, entre admiration et jugement, de la confrontation des enfants aux désirs de leurs parents, mais aussi de la façon dont la société de l’époque – en Écosse comme ailleurs – traitait les femmes qui n’entraient pas dans le moule. Combien d’entre elles se sont retrouvées, tout comme Esme, emprisonnées entre quatre murs à l’initiative de leur famille, se voyant affublées d’une quelconque maladie mentale quand leur seul tort était d’être différentes, en marge. Des femmes aux envies modernes coincées dans une société rétrograde…
C’est un livre qui prend aux tripes et qui marque, longtemps encore après l’avoir refermé, et je ne peux que vous le conseiller! ( je regrette juste sa fin ouverte, en suspends, qui, personnellement, me frustre au plus au point, et le fait que, finalement, on ne voit rien de l’Écosse ^^ )

16 commentaires sur “D’une vie sacrifiée

    1. J’ai bien travaillé alors ^^
      Personnellement il m’a donné envie de découvrir d’autres romans de cette auteure donc c’était une première réussie.

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          1. Moi avant non plus. Mais il y a pres de deux semaines, un(e) généreux(euse) donnateur (euse) a laissé deux matin de suite et a chaque fois une bonne vingtaine de livre neufs sur le radiateur du rez de chaussée de l’immeuble. Je me suis « servie » les deux matin. Ce livre se trouvait dedans.
            est-ce-que cette phrase « le cimetière des livres oubliés » te donnerait l’envie de lire ce livre ?

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            1. Elle m’intrigue en tous cas 🙂
              J’ai déjà récupéré des livres dans les mêmes circonstances ou presque et, à chaque fois, je me demande comment les gens font pour abandonner des livres…

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              1. la ils ne les abandonnaient pas, enfin c’est un partage, un don, un petit peu comme les gens qui laissent un livre sur un banc public, pour qu’il soit prit et lu par une autre personne.
                La dans mon immeuble, la grand emajorité des livres etaient neufs.
                Peut-être est ce une personne qui a une librairie et qui a mit la des invendus, ou simplement une personne qui avait « envie » de faire plaisir à d’autres et … je suis passée là au bon moment
                la phrase m’a intriguée aussi et tout le livre est absolument captivant. C’est un des meilleurs que j’ai lu depuis quelques temps

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